EROS selon Platon

EROS, dans la Grèce Antique, était le dieu de l’amour passion, l’amour désir, l’amour possession.

Dans « Le banquet », Platon, par la voix d’un de ses personnages : Aristophane, donne une version de l’amour. Dans les temps originels, les hommes et femmes étaient doubles. Ils possédaient deux têtes, quatre bras, quatre jambes et deux sexes. Ces êtres voulurent escalader le ciel pour s’en prendre aux dieux. Zeus les coupa alors en deux pour les affaiblir et ils se retrouvèrent amputés de leur autre partie. Et nous autres, leurs descendants incomplets, n’avons de cesse de retrouver notre moitié pour former de nouveau cette unité originelle – d’où cette sensation de plénitude ressentie quand nous sommes amoureux. L’amour est donc le désir de se réunir et de se fondre avec l’être aimé pour ne plus faire qu’un.

Aristophane et ses « âmes sœurs » décrivent l’amour tel que nous voudrions qu’il soit. L’amour nourri par nos illusions. L’amour rêvé car exclusif, définitif, qui nous comble absolument, mettant fin à la séparation et à la solitude. Or l’amour n’est pas unité (le couple signifie bien être deux), n’est pas exclusif ou toujours définitif.

Toujours selon Platon :

  • L’amour est « désir » / Le désir est le « manque » de ce que nous n’avons pas.
  • Être heureux, c’est « avoir ce que nous désirons ».

Or si l’amour = désir et si le désir = manque, lorsque nous aimons nous n’avons jamais ce que nous désirons donc nous ne pouvons jamais être heureux. Tomber amoureux, c’est découvrir que quelqu’un vous manque terriblement. Il nous faut alors « posséder » l’autre. Si nous n’arrivons pas à nos fins, le manque se fait souffrance.

Et si le désir est manque, lorsque nous sommes satisfaits il n’y a plus de manque, donc plus de désir, donc plus d’amour. Ainsi en possédant l’être de notre désir, nous le désirons de moins en moins et nous n’en sommes plus amoureux. 

Selon Platon, il ne peut donc y avoir d’amour heureux.

Un peu triste non ? Si l’amour ne peut durer et être heureux. Alors pourquoi certaines personnes qui ne se manquent pas s’aiment toujours ? Une partie de la réponse est avec l’amour PHILIA.

L’audace au service de l’exclusivité et de la distinction

PHILIA veut dire « Amitié » (au sens plus large que le terme décrit de nos jours en anglais ou en français).

Lorsqu’Aristote parle de Philia, il peut par exemple décrire l’amour entre des parents et des enfants, entre deux grands amis et également entre deux amoureux (ne dit-on pas « petit ami » ou « petite amie » ?).

Philia est l’amour de tout ce qui ne manque pas. « Aimer, c’est se réjouir » dit-il.

L’Amour est joie. A l’inverse de l’Eros de Platon, si l’amour est joie, il n’y a pas d’amour malheureux.

Spinoza est d’accord avec Platon pour dire que l’amour est « désir ». Mais l’amour n’est pas « manque ». Comme pour Aristote, l’amour est joie. Et le désir n’est pas « manque », il est « puissance » et « jouissance ». Telle la puissance sexuelle qui est la puissance de jouir. Nous sommes en puissance de désirer l’autre qui ne nous manque pas et qui, au contraire, se donne et s’abandonne. A la différence du manque qui est frustration et donc souffrance, la puissance de désirer et de jouir de ce qui ne nous manque pas est l‘APPETIT. L’appétit est un plaisir.

De plus, pour Spinoza : « L’amour est une joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure ». Aimer, c’est : « se réjouir de … ». Pour la personne qui aime, la simple existence de l’autre rend heureux. Penser à l’autre rend heureux. Le bonheur de l’autre rend heureux.

Philia n’est donc pas désirer celui/celle que nous n’avons pas mais se réjouir de celui/celle avec lequel/ laquelle nous partageons notre vie.

Un couple heureux est ainsi une ascension de Platon à Spinoza. Quand il n’y a plus le manque, il reste la joie.

L’ENNUI selon Schopenhauer

Pour rappel, un couple heureux est une ascension de Platon à Spinoza : quand il n’y a plus le manque, il reste la joie (cf post 1 et 2). Cependant, un couple malheureux est tombé de Platon à Schopenhauer. Pour ce dernier, quand il n’y a plus de manque, il y a l’ennui. 

Car si je désire ce que je n’ai pas, je souffre de ce manque. Quand j’ai ce qui ne me manque plus, ce n’est plus de la souffrance. Mais il n’y a pas le bonheur pour autant. Cette absence de malheur et de bonheur est l’ENNUI. « Ainsi toute notre vie oscille comme un pendule de droite à gauche, de la souffrance à l’ennui. » dit-il.

Cependant, il n’est nul besoin d’être aussi défaitiste que Schopenhauer. Malgré l’ennui qui peut s’inviter dans la vie des couples, il est toujours possible de recréer du « manque » pour alimenter le désir. Et les différents concepts de l’amour ne sont pas cloisonnés. Ils s’entrecroisent au cours de notre chemin amoureux. Il n’y a pas seulement l’un ou l’autre. Ne plus être amoureux (selon la passion du manque des débuts) ne signifie pas : ne plus désirer son « ami(e)». 

Pour André Comte Sponville, la vraie vie érotique et aimante des couples consiste à « aimer et faire l’amour avec son/sa meilleure amie ». Aimer celle/celui avec laquelle/lequel nous partageons notre vie c’est donner et recevoir plus de joie donc plus d’amour, plus de plaisir, plus de vérité. Si tomber amoureux (EROS) signifie aimer les illusions que l’on se fait sur l’autre, aimer (PHILIA) veut dire aimer avec respect et considération l’autre pour ce QU’IL/ELLE EST en réalité. L’Amour est donc un lieu spirituel qui célèbre la JOIE et la VÉRITÉ.

En parlant de spiritualité, découvrez dans la deuxième partie AGAPÈ.